s'agissait de donner une continuité au mouvement, en partant de formes

d'assemblées interpro qui permettent de regrouper des salariés de divers

syndicats (Sud, Cnt, Fse, Fsu, Snes, Unef...) mais aussi des précaires,

étudiants, chômeurs, lycéens et collectifs....


Lors du précédent blocage, nous avions rencontré par une heureuse

coïncidence des routiers de la CGT transports, qui tractaient pas loin

de là et qui avait rejoint la fermeture du dépôt avec enthousiasme.

Ceux-ci avaient, de leur coté, bloqué les poids-lourds de la zone de

Longvic une nuit de la semaine précédente et, forts de cette dynamique

d'action convergente nous avions décidé d'organiser une nouvelle action

commune.


Dans la nuit encore calme, les divers points de blocage s'installent

rapidement avec des braseros, ainsi que des palettes, containers et

divers matériaux disponibles dans l'environnement immédiat, afin de

filtrer la circulation, de neutraliser les velléités de ceux qui

voudraient passer à travers et de ralentir une intervention policière.

Cette fois, on a décidé de laisser passer les voitures mais de paralyser

les camions et donc la majorité de l'activité économique.


Un des premiers camionneurs bloqués s'énerve, tente de passer en force,

se retrouve face à un brasero, mis en travers de la route et des

personnes qui se collent à son capot... après ce rapide coup de sang, il

s'arrête, souffle un coup, nous déclare que finalement il soutient ce

qu'on fait, qu'il n'a pas à se pourrir la vie pour son patron et vient

partager un café et discuter le coup pendant deux heures autour du

brasero. Comme quoi une petite rupture dans le train-train quotidien

suffit parfois à faire les meilleures rencontres.


Les files de camions commencent à s'allonger, les moteurs s'arrêtent

sous les applaudissements et les conducteurs se garent souvent de

manière à conforter le blocage, finissant par former un puzzle qui

prendra des heures à se délier. Certains craignaient un peu que le

message médiatico-gouvernemental, ainsi que celui de la hiérarchie des

centrales syndicales soit passé et que pas mal de gens ne voient pas

forcément le sens d'une poursuite de la lutte... Mais on est vite

réconforté par les gestes de sympathie des camionneurs et les nombreux

encouragements des automobilistes. Encore une fois le blocage est bien

pris dans un contexte où tout le monde voit bien que les traditionnelles

manifs et grèves reconductibles, même massives, ne suffisent pas à faire

lâcher le gouvernement. On peut toujours regretter que beaucoup aient dû

reprendre le travail pour l'instant, et le blocage pourrait alors être

reçu comme une sorte de "grève imposée", mais il a l'avantage certain de

faire payer les patrons et pas les employés. Il se trouve de fait

accueilli avec une compréhension croissante dans un contexte où beaucoup

de travailleurs ont malheureusement de plus en plus de mal à tenir la

grève longtemps ou à avoir la possibilité de s'y mettre, du fait de la

précarité des emplois et des pressions patronales et financières.


Certains conducteurs "poids-plumes" reviennent nous apporter des

pâtisseries achetées à la boulangerie, des croissants du boulot, ou des

tas de sandwiches qui allaient être jetés... On distribue des cafés, et

des routiers nous disent qu'ils espèrent que le casse-croûte de midi

sera bon. Il y a quand même toujours quelques rabat-joie, dont un patron

qui vient nous hurler dessus pour qu'on laisse travailler "son gars" et

finit par lâcher l'affaire, ou un camionneur qui se met en travers de la

route au niveau de la rocade pour bloquer aussi les voitures en espérant

que cela accélère une intervention policière. L'un dans l'autre, le

blocage finit surtout par créer un bon gros embouteillage sur toute une

partie de la rocade et la fermeture quasi complète de la zone

industrielle, d'autant plus qu'un bus divia a cassé son moteur en

essayant de se retourner et se trouve échoué au milieu d'une des grosses

voies d'accès. Au final, c'est la police un peu paumée qui se retrouve à

détourner une bonne partie de la circulation et à prolonger un peu le

week-end de la Toussaint ou tout au moins l'arrivée au turbin.

Au fil des heures, tout le monde est de plus en plus souriant et malgré

la fatigue, le froid, l'abus de café et quelques pressions policières

inefficaces on sent que l'action est un plein succès. On partage des

techniques et des expériences de lutte, quelques désaccords et pas mal

de blagues. Et puis les moments d'échanges volés au temps travaillé avec

ceux qui s'arrêtent, permettent de constater que le coup des retraites

n'est pas passé, a catalysé une force, mais ouvre aussi l'expression

d'un ras-le-bol de différentes autres formes d'exploitation et de

flicage. On sent que ce qui s'est vécu ces dernières semaines fait

surgir et politise des colères et frustrations souvent contenues et

individualisées, que c'est précieux et que ça pourrait même persister,

si on est assez malins pour ne pas tous-tes retourner dans nos

coquilles.


Vers 8h du matin, on aperçoit au levant un train complet de milliers de

tonnes de gasoil qui arrive lentement par la voie ferrée reliée

directement au dépôt pétrolier. La réaction est rapide et une partie de

l'équipe se rend sur la voie avec des airs de Jesse james, des palettes

et des poubelles. Le train s'arrête. Tout le monde se regroupe pour

bloquer le dépôt, en face duquel une vingtaine de camion-citernes se

garent petit à petit. Encore une fois, l'équipe du train n'est pas

mécontente de se retrouver entravée sur son chemin et vient discuter sur

le piquet. Malgré la libération des ronds-points, le puzzle de

semis-remorques et les bouchons peinent à se démêler et des agents de

l'autoroute détournent toujours la circulation au point qu'on se demande

s'ils n'ont pas voulu donner la main.

Plusieurs voitures de police finissent par se regrouper face à nous et

leur porte-parole vient proposer que des délégués soient reçus par le

préfet en échange de la levée du blocage. Même si une partie des

bloqueurs a dû repartir à ce moment là pour aller au taf, nous décidons

qu'il est plus utile de tenir sur place le plus longtemps possible que

d'aller parler au préfet qui est déjà sans doute bien au courant des

raisons pour lesquelles nous sommes dans la rue. Face à notre refus,

vers 10h30, une brigade de CRS se déploie et le petit bonhomme au

mégaphone nous menace d'un traditionnel "dispersez-vous" auquel nous

répondons en choeurs "spersez-vous, spersez-vous !". Comment souvent,

ils ne font pas preuve d'un grand sens de l'humour et préfèrent nous

évacuer avec quelques petits coups de pieds et de matraques mesquins

mais sans trop de grabuges. Cela fait quand même presque 7h de bloquage,

d'annulation ou de report des transports prévus sur la journée et un

impact économique certain face aux sourds d'oreilles.

On apprend en rentrant après, qu'ailleurs en France, au même moment, des

plates-formes logistiques, universités, usines, péages ont été bloqués

par d'autres groupes "interpros". Le mouvement et la pression sur le

gouvernement et les patrons continue, avec de nouvelles dynamiques et se

poursuivra à Dijon aussi, de manière bien visible, n'en déplaise à

Sarkozy.


PS: Merci au flair de certains médias dijonnais, en l'occurence Le bien

public, et France 3 qui ont l'air d'avoir décidé pour leur part que le

mouvement est bien fini, et qui, pour une info "équilibrée", ont choisi

entre tous, de mettre Francis sous les projecteurs. Un parti-pris bien

particulier puisque c'était un des rares routiers à être énervé et à

piaffer depuis un moment que "ça ne sert plus à rien" et qu'on "va se

mettre les gens à dos". Quand même, c'eût été dommage de ne pas passer

pour des "preneurs d'otage" à la télé.


PS : un petit hommage à l'imagination des deux flics qui ont essayé de

monter un mytho et de nous raconter que 20 routiers s'organisaient pas

loin de là pour nous virer avec des barres de fer, et qu'avec eux ça

allait pas être la même et qu'ils seraient bien contents de les laisser

faire... en espérant vaguement que peut-être on allait y prêter

attention. En fait, les 20 routiers étaient 3, et ont accepté bien

volontiers nos cafés et notre action quand on est allé discuter avec

eux.