BLOCAGE DES DEPOTS PETROLIERS DE DIJON
jeudi 4 novembre 2010 à 14:02 - Dijon - Lien permanent
Récit avec des photos sur :
http://www.brassicanigra.org/contributions/dijon-recit-du-nouveau-blocage-du-depot-petrolier-et-de-la-zone-industrielle-de-longvic.html
D'autres photos et un récit alternatif de cette action sur http://dioxyde.org
Mardi 2 novembre dès 4h du matin, c'est environ 80 personnes qui se sont
réparties en 3 groupes sur les accès stratégiques de la zone
industrielle de Longvic, la plus importante plate forme logistique de
Dijon, regroupant diverses industries de transport, ainsi que le dépôt
pétrolier du grand est, déjà bloqué la semaine passée pendant 4h. Il
s'agissait de donner une continuité au mouvement, en partant de formes
d'assemblées interpro qui permettent de regrouper des salariés de divers
syndicats (Sud, Cnt, Fse, Fsu, Snes, Unef...) mais aussi des précaires,
étudiants, chômeurs, lycéens et collectifs....
Lors du précédent blocage, nous avions rencontré par une heureuse
coïncidence des routiers de la CGT transports, qui tractaient pas loin
de là et qui avait rejoint la fermeture du dépôt avec enthousiasme.
Ceux-ci avaient, de leur coté, bloqué les poids-lourds de la zone de
Longvic une nuit de la semaine précédente et, forts de cette dynamique
d'action convergente nous avions décidé d'organiser une nouvelle action
commune.
Dans la nuit encore calme, les divers points de blocage s'installent
rapidement avec des braseros, ainsi que des palettes, containers et
divers matériaux disponibles dans l'environnement immédiat, afin de
filtrer la circulation, de neutraliser les velléités de ceux qui
voudraient passer à travers et de ralentir une intervention policière.
Cette fois, on a décidé de laisser passer les voitures mais de paralyser
les camions et donc la majorité de l'activité économique.
Un des premiers camionneurs bloqués s'énerve, tente de passer en force,
se retrouve face à un brasero, mis en travers de la route et des
personnes qui se collent à son capot... après ce rapide coup de sang, il
s'arrête, souffle un coup, nous déclare que finalement il soutient ce
qu'on fait, qu'il n'a pas à se pourrir la vie pour son patron et vient
partager un café et discuter le coup pendant deux heures autour du
brasero. Comme quoi une petite rupture dans le train-train quotidien
suffit parfois à faire les meilleures rencontres.
Les files de camions commencent à s'allonger, les moteurs s'arrêtent
sous les applaudissements et les conducteurs se garent souvent de
manière à conforter le blocage, finissant par former un puzzle qui
prendra des heures à se délier. Certains craignaient un peu que le
message médiatico-gouvernemental, ainsi que celui de la hiérarchie des
centrales syndicales soit passé et que pas mal de gens ne voient pas
forcément le sens d'une poursuite de la lutte... Mais on est vite
réconforté par les gestes de sympathie des camionneurs et les nombreux
encouragements des automobilistes. Encore une fois le blocage est bien
pris dans un contexte où tout le monde voit bien que les traditionnelles
manifs et grèves reconductibles, même massives, ne suffisent pas à faire
lâcher le gouvernement. On peut toujours regretter que beaucoup aient dû
reprendre le travail pour l'instant, et le blocage pourrait alors être
reçu comme une sorte de "grève imposée", mais il a l'avantage certain de
faire payer les patrons et pas les employés. Il se trouve de fait
accueilli avec une compréhension croissante dans un contexte où beaucoup
de travailleurs ont malheureusement de plus en plus de mal à tenir la
grève longtemps ou à avoir la possibilité de s'y mettre, du fait de la
précarité des emplois et des pressions patronales et financières.
Certains conducteurs "poids-plumes" reviennent nous apporter des
pâtisseries achetées à la boulangerie, des croissants du boulot, ou des
tas de sandwiches qui allaient être jetés... On distribue des cafés, et
des routiers nous disent qu'ils espèrent que le casse-croûte de midi
sera bon. Il y a quand même toujours quelques rabat-joie, dont un patron
qui vient nous hurler dessus pour qu'on laisse travailler "son gars" et
finit par lâcher l'affaire, ou un camionneur qui se met en travers de la
route au niveau de la rocade pour bloquer aussi les voitures en espérant
que cela accélère une intervention policière. L'un dans l'autre, le
blocage finit surtout par créer un bon gros embouteillage sur toute une
partie de la rocade et la fermeture quasi complète de la zone
industrielle, d'autant plus qu'un bus divia a cassé son moteur en
essayant de se retourner et se trouve échoué au milieu d'une des grosses
voies d'accès. Au final, c'est la police un peu paumée qui se retrouve à
détourner une bonne partie de la circulation et à prolonger un peu le
week-end de la Toussaint ou tout au moins l'arrivée au turbin.
Au fil des heures, tout le monde est de plus en plus souriant et malgré
la fatigue, le froid, l'abus de café et quelques pressions policières
inefficaces on sent que l'action est un plein succès. On partage des
techniques et des expériences de lutte, quelques désaccords et pas mal
de blagues. Et puis les moments d'échanges volés au temps travaillé avec
ceux qui s'arrêtent, permettent de constater que le coup des retraites
n'est pas passé, a catalysé une force, mais ouvre aussi l'expression
d'un ras-le-bol de différentes autres formes d'exploitation et de
flicage. On sent que ce qui s'est vécu ces dernières semaines fait
surgir et politise des colères et frustrations souvent contenues et
individualisées, que c'est précieux et que ça pourrait même persister,
si on est assez malins pour ne pas tous-tes retourner dans nos
coquilles.
Vers 8h du matin, on aperçoit au levant un train complet de milliers de
tonnes de gasoil qui arrive lentement par la voie ferrée reliée
directement au dépôt pétrolier. La réaction est rapide et une partie de
l'équipe se rend sur la voie avec des airs de Jesse james, des palettes
et des poubelles. Le train s'arrête. Tout le monde se regroupe pour
bloquer le dépôt, en face duquel une vingtaine de camion-citernes se
garent petit à petit. Encore une fois, l'équipe du train n'est pas
mécontente de se retrouver entravée sur son chemin et vient discuter sur
le piquet. Malgré la libération des ronds-points, le puzzle de
semis-remorques et les bouchons peinent à se démêler et des agents de
l'autoroute détournent toujours la circulation au point qu'on se demande
s'ils n'ont pas voulu donner la main.
Plusieurs voitures de police finissent par se regrouper face à nous et
leur porte-parole vient proposer que des délégués soient reçus par le
préfet en échange de la levée du blocage. Même si une partie des
bloqueurs a dû repartir à ce moment là pour aller au taf, nous décidons
qu'il est plus utile de tenir sur place le plus longtemps possible que
d'aller parler au préfet qui est déjà sans doute bien au courant des
raisons pour lesquelles nous sommes dans la rue. Face à notre refus,
vers 10h30, une brigade de CRS se déploie et le petit bonhomme au
mégaphone nous menace d'un traditionnel "dispersez-vous" auquel nous
répondons en choeurs "spersez-vous, spersez-vous !". Comment souvent,
ils ne font pas preuve d'un grand sens de l'humour et préfèrent nous
évacuer avec quelques petits coups de pieds et de matraques mesquins
mais sans trop de grabuges. Cela fait quand même presque 7h de bloquage,
d'annulation ou de report des transports prévus sur la journée et un
impact économique certain face aux sourds d'oreilles.
On apprend en rentrant après, qu'ailleurs en France, au même moment, des
plates-formes logistiques, universités, usines, péages ont été bloqués
par d'autres groupes "interpros". Le mouvement et la pression sur le
gouvernement et les patrons continue, avec de nouvelles dynamiques et se
poursuivra à Dijon aussi, de manière bien visible, n'en déplaise à
Sarkozy.
PS: Merci au flair de certains médias dijonnais, en l'occurence Le bien
public, et France 3 qui ont l'air d'avoir décidé pour leur part que le
mouvement est bien fini, et qui, pour une info "équilibrée", ont choisi
entre tous, de mettre Francis sous les projecteurs. Un parti-pris bien
particulier puisque c'était un des rares routiers à être énervé et à
piaffer depuis un moment que "ça ne sert plus à rien" et qu'on "va se
mettre les gens à dos". Quand même, c'eût été dommage de ne pas passer
pour des "preneurs d'otage" à la télé.
PS : un petit hommage à l'imagination des deux flics qui ont essayé de
monter un mytho et de nous raconter que 20 routiers s'organisaient pas
loin de là pour nous virer avec des barres de fer, et qu'avec eux ça
allait pas être la même et qu'ils seraient bien contents de les laisser
faire... en espérant vaguement que peut-être on allait y prêter
attention. En fait, les 20 routiers étaient 3, et ont accepté bien
volontiers nos cafés et notre action quand on est allé discuter avec
eux.